soutien scolaire philosophie en ligneChez Jankélévitch comme chez Homère, la notion d’aventure est au coeur des ouvrages. Une analyse complète par notre E-prof de philosophie en ligne dans ce cours de soutien scolaire.

Dans son ouvrage, L’aventure, l’ennui et le sérieux, Vladimir Jankélévitch s’intéresse au temps d’une manière vivante. Le temps y sera analysé à travers le prisme de l’action humaine, c’est à-dire le positionnement de l’homme par rapport au présent, au passé et au futur. Si l’ennui est vécu dans un présent mortifère déjà lasse d’espérer quelque chose de nouveau, si le sérieux est une manière globale d’appréhender une durée d’existence, l’aventure est une tout autre manière d’envisager le temps : dans le fil du temporel, l’aventure est une façon de se positionner dans l’instant L’aventure c’est agir dans une appréhension immédiate de l’instant pour prendre une décision subite, changer de direction. L’action n’est pas préméditée, réfléchie car elle prend forme dans l’instant. L’aventure c’est le positionnement ouvert et immédiat de l’individu dans le présent. La perspective de Jankélévitch enrichie des œuvres de Conrad, Le coeur des ténèbres et de l’Odyssée d’Homère permet d’approfondir la question de l’aventure humaine -décrite comme un positionnement spécifique au temps – et d’en décliner ses différents aspects dans son rapport avec la mort, l’art ou l’amour. Quelle est donc la particularité de l’aventure humaine en dehors des illusions d’aventures que proposent les médias ? Est-ce que l’aventure humaine est orientée vers un univers surnaturel ou paradis ? Ou bien est-ce que l’aventure est la tentative de stimuler les possibles du destin en le provoquant ? Est-ce l’aventure où l’expression du regard est ouvert sur le monde ne témoigne pas d’une réconciliation de l’homme avec son devenir ?

I/ le rapport au temps de l’aventurier et de l’aventureux

Selon Vladimir Jankélévitch une différence d’importance est à notifier entre ces positions face aux temps (aventurier et aventureux).

A/ Définition de l’aventurier

soutien scolaire en ligne sur JankélévitchL’aventurier est défini par l’auteur comme un entrepreneur qui agit au cours de ses pérégrinations en vue d’une fin, d’un but ultime : argent, trésor, carrière …Dans son ouvrage Le cœur des ténèbres, Conrad (Héros) donne une description éloquente de l’aventurier : « Ce groupe d’enthousiastes se présentait comme l’expédition d’Exploration Eldorado (….) Tout ce qu’ils voulaient, c’était arracher ses trésors aux entrailles du pays, et il n’y avait chez eux pas plus de préoccupations morale qu’il n’y en a chez les voleurs qui fracturent un coffre ». L’aventurier agit en ayant un dessein en tête. Son action est mue dans un but bien précis et ne relève pas du choix de la candide curiosité. L’aventurier est un individu dont l’intention carriériste l’engagera à explorer, voyager, prendre des risques. De par son mode de vie, cet individu montre les apparences de l’homme aventureux mais il n’en est rien. Cet homme a pour seule visée la possession de biens, la carrière, la reconnaissance sociale.

Le temps de l’aventurier est déjà programmé dans l’avenir, il est inscrit sur un calendrier évènementiel. Ce planning préétabli désintègre le vécu de l’instant présent, de ce présent flagrant. L’évènement est ce qui est déjà connu et inscrit.

B/ Définition de l’aventureux

L’aventureux, en revanche, porté vers l’avenir se situe dans le champ des possibles, c’est-à-dire l’incertitude. En effet, le futur vers lequel se projette l’aventureux est qualitativement inconnu, même si on en connaît l’horizon (la mort). Le regard de l’aventureux est tendu vers l’avenir, empreint d’incertitude et de curiosité. Ici, le futur est empli de mystères et le sujet est tiraillé entre la peur et la curiosité de ce qui advient, de « l’instant en instance », de ce qui est sur le point de se faire. Marlow, le héros « aventureux » du roman Le coeur des ténèbres éprouve des sentiments ambivalents après avoir décidé de son départ : « J’ai eu le sentiment d’être un imposteur. Bizarre tout de même que moi, qui partais pour n’importe où en vingt-quatre heures et en me posant moins de questions que la plupart des hommes avant de traverser une rue, j’aie marqué un temps, je ne dirai pas d’hésitation, mais d’arrêt, alarmé à la veille de ce voyage somme toute banal. »

L’aventureux se situe dans le commencement de l’action partagé entre la curiosité de ce qui va advenir et la peur de ce qui va se passer. L’aventure vertigineuse n’est pas sécurisante. Jankélévitch dira dans son ouvrage L’aventure, l’ennui, le sérieux : « L’homme brûle de faire ce qu’il redoute le plus »(P.15). Il est partagé entre le risque qui menace son confort et la curiosité de découvrir. L’aventurier qui s’improvise de manière libre établit un rapport particulier avec le temps dont l’enjeu n’est pas l’événement mais l’avènement dont il en reconnaît l’incertitude fondamentale, son indétermination.

C/ L’aventure d’Ulysse

étude de l'Odyssée d'HomèreComment se situe Ulysse dans l’Odyssée d’Homère ? Est-il aventurier ? Aventureux ?

D’ores et déjà, Ulysse n’a jamais voulu la guerre et a même rusé pour ne pas y participer. Dans Les Chants cypriens, poème qui raconte les origines de la guerre de Troie, il est dit qu’Ulysse aurait fait semblant d’être fou pour ne pas quitter les siens, mais aurait dû se résoudre à tenir ses engagements auprès du roi de Sparte : Ménélas. Contraint et forcé à être un aventurier, il n’a de cesse de retourner chez lui, de revenir à son point de départ : son foyer. Il est continuellement dans la nostalgie de son pays. Aucune intention aventureuse de la part d’Ulysse, dont les aventures avec les Cicones, les Lotophages, les Cyclopes, sur l’île d’Eole, au pays des Lestrigons, chez Circé la magicienne, chez les Cimmériens, dans l’hades, avec Les sirènes, avec Charybde et Scylla, sur l’île d’Hélios avec Calypso ne remettent pas en cause sa nostalgie pour sa ville Ithaque, dont il est exilé. Même si Ulysse affronte avec courage, ruse et curiosité les épreuves qu’il rencontre, son aventure est fermée, scandée par l’obsession du retour au pays. Or, pour l’aventureux, le départ ne présage pas le retour. Jankélévitch insistera : « L’aventure moderne, c’est le départ sans le retour »(P.34)

Ni aventurier, ni aventureux, Ulysse a affronté de nombreuses aventures qui l’ont toutefois aguerri et lui permettront de retourner à Ithaque pour y remettre de l’ordre, de l’harmonie. Car, le départ forcé d’Ulysse a été un chaos pour cette ville. Il s’agit pour Ulysse de refaire de son Oikos, sa maison un lieu ordonné, non chaotique. A ce titre Ulysse est divin car il doit faire régner comme Zeus, l’ordre et la justice.

S’il n’a ni la démarche aventureuse ou aventurière, Ulysse en revenant à Ithaque cesse pourtant d’être tiraillé entre le passé ou le futur. Il n’est plus dans la nostalgie de son foyer d’origine. Ulysse vit désormais dans l’instant de pure sagesse, et s’avère enfin capable, tel l’aventureux, d’accueillir l’instant présent, comme un éternel commencement. Sa position face au temps a changé. En effet,  Homère explique que quand Ulysse retrouve Pénélope « les dieux distendent le temps » pour qu’ils puissent bénéficier d’ « une très grande nuit d’amour ». Symboliquement cela signifie qu’Ulysse, devenu sage, est capable de vivre le présent comme s’il était l’éternité. L’évènement du retour à Ithaque lui a permis d’accueillir avec sérénité l’avènement, de vivre l’instant présent propre à l’aventureux.

Au-delà de la forme temporelle (le rapport de l’homme avec le temps) de l’aventure, Jankélévitch nous invite à découvrir l’aventure du point de vue de son contenu pratique. Il va décrire trois formes d’aventures dont les ingrédients que sont le « jeu » et le « sérieux » seront dosés différemment : l’aventure mortelle, l’aventure esthétique et l’aventure amoureuse.

II/ Trois types d’aventures

A/ L’aventure mortelle

Cette ouverture à l’aventure, cette décision libre du commencement vers un futur mystérieux perdrait toute sa valeur si l’horizon de la mort était facultatif. Si l’individu vivait éternellement, le caractère sérieux de l’aventure – que suppose la destinée mortelle de l’individu – s’effacerait. C’est la mort incontournable qui accorde toute la valeur de la décision aventureuse : « Si je ne risque rien, c’est que le futur n’est plus incertain, que je ne le redoute plus, que je ne fais que jouer » dira Jankélévitch. Le commencement de l’aventure est un acte libre dans la certitude que la mort adviendra mais dont la date reste indéterminée. La mort devient l’enjeu de l’aventure. Dans le roman de Conrad, un oncle parle à son interlocuteur : « Cette fois, tu t’es bien porté depuis ton arrivée ? » L’autre eut un sursaut : « Qui ? Moi ? Oh comme un charme, comme un charme. Mais les autres, oh, mon Dieu ! Tous malades. Ils meurent si vite que je n’ai même pas le temps de les rapatrier, c’est incroyable ! » « Hem exactement ! » grogna l’oncle. « Ah, mon garçon, c’est là ta chance, je te le dis, c’est là ta chance ». Ici la dimension sérieuse de l’aventure repose sur l’indétermination d’une mort certaine.

De la même manière, dans L’Odyssée, Calypso propose à Ulysse de dépasser sa condition de mortel pour accéder à l’immortalité. Or Ulysse refuse car en devenant immortel, il perdrait son identité d’être humain. Il perdrait la possibilité d’être sage c’est à-dire la capacité d’affronter ses peurs. La sagesse consiste bien sûr à affronter les peurs sociales, les timidités, les phobies, etc… mais aussi et surtout la peur de la mort.

Dans cette perspective le rapport de l’action humaine face au temps est engagé, intérieur, profond, grave, « dedans ». L’homme est dans l’action, concentré sur elle.

B/ L’aventure esthétique

Alors que dans l’aventure mortelle c’est le sérieux qui l’emporte dans le dosage subtil entre sérieux et jeu, ici, dans l’aventure esthétique, c’est le jeu qui prévaut. Alors que notre engagement dans l’action est plus sérieux et grave dans l’aventure mortelle, dans l’aventure esthétique, l’homme devient plus « extérieur », « en dehors », spectateur de sa destinée. Certes, il n’est pas devant le spectacle de sa vie, indifférent. Mais l’horizon sur laquelle s’oriente cette aventure est la beauté, laquelle cultive l’attitude contemplative.

Qu’est-ce qu’un objet esthétique ?

Ici, l’objet esthétique a pour trait principal son inutilité. Dans le cadre de l’aventure, c’est forcément un récit vécu qui a donc un début et une fin ; cet objet est isolé au sein de la vie sérieuse dans des bibliothèques, des musées, etc… Les récits sont des romans, des épopées, des drames dont la finalité éclaire le discours narratif. Les aventures racontées à la première ou troisième personne ne portent plus le poids du danger de mort puisqu’elles sont terminées Ici, l’aspect dangereux et incertain du récit est fictif et ou rétrospectif. Et puis, surtout l’œuvre d’art a pour caractéristique d’être belle.

Quel est le rapport de l’art avec l’aventure ?

L’aventure esthétique ressemble à une œuvre d’art parce que le récit a une forme esthétisée : le style est recherché, soutenu, rythmé, mais elle diffère de l’art au sens où elle n’est pas close sur elle-même. L’aventure esthétique est ouverte sur l’inconnu ; on ne connaît pas sa fin. On pourra remarquer que la pièce de théâtre dont les aléas liés au renouvellement des représentations est plus « aventureuse » que le tableau figé d’un peintre.

Qu’est-ce que l’aventure esthétique au quotidien pour celui qui n’est pas artiste?

Poser un acte créateur nouveau dans le fil de sa vie, acte créateur dénué de tout intérêt, acte porteur de valeurs : vertu, beauté, culture…

Dans Le coeur des ténèbres, Marlow, le narrateur à la recherche de Kurtz, rencontre lors de ses pérégrinations un homme incroyable : « Le jeunesse auréolait de charme ses oripeaux multicolores, son dénuement, sa solitude, la désolation essentielle de sa futile errance.(…) Si un être a jamais été gouverné par l’esprit d’aventure dans toute sa pureté, dépourvu de calcul et de sens pratique, c’était à coup sûr ce jeune homme tout rapiécé. Je l’enviais presque de posséder cette flamme si claire. » Ce dernier lui expliqua les raisons de son voyage : « Mais quand on est jeune, il faut voir le monde, accumuler les expériences et les idées ; s’ouvrir l’esprit ». L’aventure esthétique est un acte désintéressé, nouveau, mouvant, mobile et ouvert sur l’inconnu.

C/ L’aventure amoureuse

Dans l’aventure amoureuse « jeu » et « sérieux » sont intimement liés.

L’aventure amoureuse apparaît comme un jeu au moment spécifique, exceptionnel qui se détache du quotidien, à travers l’attirance de deux êtres, des regards qui se croisent, dans l’espoir d’un monde nouveau, d’un changement de vie. Toutefois, elle peut prendre une dimension sérieuse quand une relation d’amour s’installe au point de bouleverser la vie tout entière de deux êtres : « L’aventure d’amour est un jeu sérieux ! » car on sait quand elle commence mais on ne connaît pas son déroulement, ni sa fin.

Si l’on ne peut doser le jeu et le sérieux dans la vie amoureuse, il est possible que le jeu l’emporte sur le sérieux ou bien l’inverse.

Par exemple, chez la femme le sérieux l’emporte assez vite car de cet amour peut naître un enfant. De frivole, l’aventure devient très vite sérieuse et peut même tourner au tragique.

Chez l’homme, l’aventure amoureuse garde plus facilement son caractère ludique, en témoigne la multiplicité de ses relations. Que ce soit Ulysse dans l’Odyssée ou Kurtz dans Le cœur des ténèbres, ces hommes accumulent des relations amoureuses.

Ulysse rencontrera Circé et Calypso lors d’escales pour retrouver Pénélope.

Kurtz, pour sa part s’était éloigné de « sa promise » pour partir à l’aventure dans le but de s’enrichir grâce à la vente d’ivoire, et avait aussi entretenu une relation avec une femme issue d’une tribu sauvage.

L’accumulation des relations repousse le caractère sérieux, voire tragique de la relation en maintenant son jeu frivole. L’aventure amoureuse est sur un fil entre le jeu frivole et la tragédie. Ici, dans les deux œuvres, Ulysse et Kurtz vivent dans l’horizon futur d’une aventure sérieuse (la promise et Pénélope), mais dans cet intervalle, s’adonnent à d’autres relations qui, elles, ont un caractère frivole et ponctuel. L’équilibre de l’aventure amoureuse est maintenu dans cette pluralité relationnelle. En revanche, Pénélope et « la promise » sont fidèles, entretiennent le souvenir de leur compagnon et résistent à toute proposition. Pour elles, l’aventure amoureuse devient sérieuse, voire tragique.

En outre, l’aventure amoureuse de la femme a un caractère « passif » alors que celle de l’homme se définie comme « active ». Alors que la femme attend, espère, se prépare à la rencontre providentielle, l’homme va agir, prendre des risques dans la frénésie et l’ardeur de son désir pour faire une rencontre. En effet, les femmes de ces héros attendent patiemment, un retour. Ulysse reviendra déguisé mais Kurtz, lui, ne reviendra pas du fait de sa mort. Dans ce contexte, La promise de Kurtz revêt l’apparence d’une morte : « Pâle de visage, elle s’avança, habillée tout de noir, comme si elle flottait vers moi dans le crépuscule. Elle était en deuil …mais il semblait qu’elle n’en finirait pas de se souvenir et de porter le deuil ».L’aventure a sombré dans le tragique.

Est-il nécessaire de signaler que lorsque la rencontre aventureuse devient coextensive à la vie d’un être (envahit toute son existence), elle perd son caractère d’aventure ? Car la caractéristique même de l’aventure est d’être un commencement, un début de quelque chose de nouveau dans la régularité du quotidien.

étude de L'aventure, l'ennui, le sérieuxInspiré de Simmel et Bergson, Jankelevitch ouvre un beau panorama du rapport de l’Homme au temps avec L’aventure, l’ennui et le sérieux. Ici, l’aventure est présentée comme un antidote à l’ennui, qui précipite, stimule le rythme régulier du métronome de notre quotidien. Ce rapport spécifique au temps en fait surgir des nouveautés, des conjonctures incroyables. Par ailleurs, ce rapport aventureux au temps, cette ouverture à l’instant peut faire émerger du quotidien un émerveillement, propre au renouveau du regard qui se pose sur lui. L’aventure portée par une attention candide et curieuse sur le monde, c’est l’accueil de l’extraordinaire au sein du quotidien toujours en devenir que la mort clôture toutefois. Le jeu et le sérieux amplifient les aspects ludiques ou graves (voire tragiques) de cette aventure qui peut se décliner respectivement en aventure mortelle ou sérieuse. L’aventure amoureuse étant intimement pétrie de  sérieux et de ludique. Que l’aventure soit palpitante, prenante, belle ou joyeuse, il n’y a guère de doute mais ne prend-elle pas son essor dans un sentiment profond d’angoisse ?

 

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