Dans ce dernier volet, magnifique exemple d’intertextualité où Uderzo et Goscinny manipulent et s’approprient un grand poème de Victor Hugo sur la bataille de Waterloo en le transposant en 50 avant J.-C. pour décrire le conflit opposant César aux troupes belges et gauloises.

Suite et fin de notre série d’articles et quiz spécial lycée et bac+2 consacrés aux concepts d’’intertextualité et d’intericonicité appliqués à l’album Astérix chez les Belges.

Une référence culturelle franco-belge : Victor Hugo, “L’expiation”, dans Les Châtiments.

L’intertexte le plus diffus dans cet album d’Astérix est sans conteste la série d’emprunts au poème “L’expiation” de Victor Hugo, dans le recueil Les Châtiments, décrivant la défaite de Napoléon 1er à Waterloo, pour décrire celle de César face aux Belges et aux Gaulois.

Le 1er et le 2e signal sont envoyés par Gueuselambix lorsqu’il évoque “une entrevue dans la morne plaine voisine” avec César (page 32), puis “Waterzooie ! Waterzooie ! Waterzooie ! Morne Plat” (page 39), soit deux allusions au 1er vers de la deuxième sections du poème de Victor Hugo : “Waterloo Waterloo morne plaine”.

 

waterloo waterzoi intertextualite

Le détournement de la citation originale crée un effet comique puisqu’il repose sur un double jeu de mots entre “Waterzooie”, un plat cuisiné typique de la ville de Gand en Belgique, et “Waterloo”, la commune belge qui signifie étymologiquement “la prairie près de l’eau”, la “plaine”, soit un relief … plat comme le chante Brel.

Retrouvez les deux autres contributions de Jonathan traitant d’intertextualité à travers les arts :

Intertextualité et intericonicité en BD

L’intericonicité de la BD à la peinture

Les allusions suivantes au poème de Victor Hugo sont pour la plupart dessinées sur des parchemins en tête de vignette, à fonction narrative, intercalés entre les dialogues et scènes de guerre rejouant la bataille de Waterloo… en 50 avant J.C.

Alesia bataille de waterloo

“D’un côté c’est Rome… Et de l’autre l’exubérance. / Choc sanglant ! Des héros Toutatis trompait l’espérance” (page 40). Ces trois parchemins font allusion aux vers de Victor Hugo : “D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France. / Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance.” Dans son geste de réappropration, Goscinny conserve les rimes : Europe/Rome / France/exubérance, mais par souci de cohérence historique modifie la référence à Dieu par celle à Toutatis, le plus grand des dieux dans la mythologie celtique.

bataille waterloo Gaule

“Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire / César avait l’offensive et presque la victoire ; / Il tenait les Belges acculés sur un bois” (page 43) fait allusion aux vers : “Le soir tombait : la lutte était ardente et noire. / Il avait l’offensive et presque la victoire ; Il tenait Wellington acculé sur un bois.” Seul a été remplacée la référence au duc de Wellington, vainqueur de Napoléon à Waterloo, par une référence plus générale aux Belges dans le cadre narratif de la bande-dessinée.

volfgangamadeus

“Soudain. joyeux, il dit…/– Volfgangamadéus ! / C’était Astérix” (page 43) fait allusion au vers : “Soudain. joyeux, il dit : Grouchy ! – C’était Blucher”. Goscinny efface les références au maréchal Emmanuel de Grouchy, allié de Napoléon, et au général prussien Gebhard Leberecht von Blücher, ennemi de Napoléon,  par une référence au légat de Belgique Volfgangamadéus, allié de César, et Asterix, ennemi de César.

Goscinny cite ensuite deux vers d’Hugo sans en modifier le moindre mot : “L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme” et “– Allons ! Faites donner la garde !” (page 44), mais opère une transposition assortie d’un grand nombre de modifications à la page suivante :

Victor Hugo Astérix

Transposition bien documentée

“Et, triarii, principes aux caligae de cuir, / Hastati dont Rome faisait des légionnaires, / Vélites, sagitarii qui traînaient leur crinière / Portant des clipeus et jambières de métal, Tous ceux d’Alésia et ceux de Pharsale …” est une allusion aux vers de Victor Hugo : “Et Lanciers, Grenadiers aux guêtres de coutil, / Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires, / Cuirassiers, Canonniers qui traînaient des tonnerres, / Portant le noir colback ou le casque poli, / Tous ceux de Friedland et ceux de Rivoli”.

Ce qui caractérisait les armées napoléoniennes dans le poème d’Hugo a été remplacé par des attributs de l’armée romaine de César dans la bande-dessinée :

  • les “lanciers”, cavaliers armés d’une lance dans l’armée napoléonienne, deviennent des traires, corps de vétérans de l’armée romaine qui formait la troisième ligne, en réserve.
  • les “grenadiers”, soldats d’élite de certaines unités de la garde impériale, sont dans Astérix des principes, soldats de première ligne dans l’armée romain.
  • les “dragons”, soldats de cavalerie de ligne, deviennent des hastats, soldats romains armés de javelots.
  • les “cuirassiers” → des vélites, jeunes soldats d’infanterie légère dans l’armée romaine, issu de la classe de citoyens la plus pauvre, armé d’un bouclier et de javelots et placé généralement entre les rangs de la cavalerie pour accompagner ses mouvements.
  • les “canonniers” → des sagitario ou archers.
  • les “guêtres de coutil”, enveloppe de cuir ou d’étoffe qui recouvre le haut de la chaussure et le bas ou l’ensemble de la jambe → caligae de cuir, c’est-a-dire des sandales montantes avec des lanières en cuir.
  • les “colback boir”, ces bonnets à poil en forme de cône tronqué renversé, fermés par une poche tombante conique en drap, portés par différents corps cavaliers des premier et second Empires → des clipeus, des boucliers dans l’armée romaine.
  • Quant au “casque poli”, rimant avec “Rivoli”, il est remplacé par la “jambière de métal” rimant avec “Pharsale”.
  • Enfin, les victoires napoléoniennes de “Friedland” (14 juin 1807) et de ‘Rivoli” (14 janvier 1797) sont logiquement remplacées par des victoires de César à “Alesia” (52 av. J.-C.) et “Pharsale” (48 av. J.-C.).

Cette transposition documentée ne doit pas occulter le fait que la dimension tragique du poème de Victor Hugo laisse place, dans Astérix, à une dimension plutôt comique où les soldats de César sont moqués, comme en témoigne les deux dernières allusions :

“Comprenant qu’ils allaient drôlement déguster, / Leur bouche, d’un seul cri, dit : / – C’est pas un peu fini ? Arrêtez !!!” (page 45) fait référence aux vers d’Hugo : “Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête, / Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête. / Leur bouche, d’un seul cri, dit : vive l’empereur !”

“La déroute apparut au légionnaire qui s’émeut, / Et, se tordant les bras, cria : / – Sauve qui peut ! Sauve qui peut !” reprend quasiment mot pour mot le vers hugolien si ce n’est que le légionnaire romain remplace le soldat napoléonien : “La Déroute apparut au soldat qui s’émeut, / Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut!”

Conclusion

prof lettresA travers ce cours de français en ligne niveau lycée et université, la bande-dessinée Astérix chez les Belges nous a permis de montrer quelques exemples d’emprunts de Goscinny et Uderzo à des chansons, bd, poème et tableau célébrant tous la culture belge ou les relations franco-belges, et comment ils sont utilisés dans l’oeuvre pour servir les aventures des nos deux Gaulois préférés. Ces pastiches, en plus d’être des hommages à la culture du pays hôte, participent aux ressorts comiques de l’histoire à tous les niveaux : comique de mots, de gestes et de situations. Ils donnent une couleur locale à l’aventure en jouant sur les clichés et stéréotypes de la culture wallonne et flamande.

Il en est toujours ainsi des richesses que l’on peut tirer d’une analyse intertextuelle, intericonique ou intermédiale d’un texte : au-delà de l’identification de la source de l’oeuvre citée, qui parfois relève d’une enquête minutieuse et trépidante pour le chercheur, c’est tout le processus de création qui se donne en spectacle par ce geste de réappropriation du travail d’un autre pour lui rendre hommage, le réinvestir, le refaçonner à sa guise.

Finissons par un petit quiz spécial intericonicité

Saurez-vous retrouver les noms des tableaux et leur auteur, pastichés dans ces 3 vignettes d’#Astérix ?

tableaux intericonicite

rembrandt

1. REMBRANDT – La Leçon d’anatomie du docteur Tulp, 1632

radeau de la meduse
2. GÉRICAULT – Le Radeau de la Méduse – 1818-1819 
Louis XIV
3. RIGAUD – Louis XIV – 1701 
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