Pour le premier rendez-vous Prof Express avec la philosophie, notre E-Prof Maryse C. se penche sur la mort, sujet sensible qui vient accompagner les journées de commémorations. Un soutien scolaire d’actualité pour les lycéens.
Si « philosopher, c’est apprendre à mourir » comme l’évoquaient Cicéron (Les Tusculanes) et Montaigne (Les Essais, livre I) est-ce que la mort existe pour nous ?
Les épicuriens considéraient qu’en tant qu’êtres vivants nous ne pouvions faire l’expérience de la mort (considérée comme la perte de toute sensation) et refoulaient l’idée de la mort dans une zone inconnue que l’homme vivant ne pouvait explorer puisqu’il était vivant justement : la mort n’existe pas pour l’être vivant puisqu’il n’est pas mort. La mort est inconcevable pour celui qui vit.
Mais si effectivement nous ne pouvons parler, témoigner de notre mort puisque nous sommes vivants, nous en faisons toutefois l’expérience lorsque nous en sommes témoins vivants. Car au fond, si le mort est mort ; il n’est plus dans le domaine de l’expérience car il n’a plus de corps. Ainsi donc, l’expérience de la mort appartient surtout aux vivants démunis face à la disparition de leurs proches, de leurs connaissances, du vivant qui les entoure. La mort est le problème des vivants qui doivent se débrouiller avec elle… et non des morts.
Comment définir l’expérience de la mort pour les vivants ?
Bien plus qu’une perte où le défunt serait alors perçu – plutôt – comme un objet (par exemple « j’ai perdu ma montre, mon portable etc…), la mort représenterait plutôt un abandon car l’individu qui meurt est avant tout un sujet irremplaçable (doté d’une conscience et d’une volonté). C’est un abandon sur lequel on ne peut plus revenir.
Pour un humain, l’expérience de la mort apparaît donc surtout comme le sentiment insupportable, d’être abandonné sur cette terre, par le mort. Ici, le mort est actif, c’est lui qui s’en va. On dit bien « Il est parti aux cieux, et ne reviendra plus » !
Mort brutale, mort douloureuse, mort longue, mort subite, la mort c’est pour toujours.
Alors que le mort abandonne le vivant voué à la peine et la tourmente, au sentiment de vide, le vivant, lui, dans la peur d’être abandonné peut créer des stratégies relationnelles dont le but principal serait d’exorciser ce sentiment d’impuissance face au départ irréversible du défunt.
Et si aimer, c’était déjà faire l’expérience de la mort ?
Est-ce que l’amour, ce n’est pas s’entraîner à l’abandon ? Est-ce que créer un lien, jouer avec ce lien, et parfois le rompre n’est pas une manière de jouer avec la mort, de s’y apprivoiser, de s’en approcher, de s’y brûler ?
Est-ce que l’amour n’est pas un entraînement au sentiment d’abandon qu’on a toutes les chances de vivre au cours de notre vie ?
Sauf que, et à la différence de la mort physique, la mort « relationnelle » est réversible. Il y a toujours la possibilité du retour amoureux, et donc d’une renaissance relationnelle. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, l’amour est propice au jeu. On peut recommencer la relation ou une autre relation.
Ne peut-on pas considérer la mort comme un mystère qui attire l’homme qui veut s’y familiariser à travers l’expérience de la rupture du lien (sachant que «religare» signifie relier et a donné « religion») et le sentiment de déréliction qui s’y accompagne?
Est-ce qu’à travers l’amour, c’est –à-dire la croyance et la création d’un lien, l’homme ne s’entraîne pas à la mort, en multipliant les ruptures qu’il inflige, qu’il subit, à travers les addictions qui remplacent le lien relationnel fatal, en créant des liens plus sécurisants avec des objets, des animaux, internet, etc…
Seuls, les vivants font l’expérience de la mort parce qu’ils restent, parce que la mort est une mise en conscience du sentiment d’abandon ?
Est-ce que l’amour et l’exercice de la rupture amoureuse n’est pas un préambule, une mise en conscience de la mort physique pour laquelle aucune autre mise en conscience n’est possible ? Cette mise en conscience de la mort, avec le sentiment d’abandon, de déréliction, et de désolation psychique semble impossible pendant la mort physique, du fait que le corps ne peut plus réfléchir sur la conscience, il ne peut plus jouer le rôle de miroir. Or, la rupture du lien, elle, permet cette mise en conscience car elle est réversible.
La conscience de la mort n’appartient donc qu’aux vivants. Peut-on même ajouter que la mort est surtout l’expérience des vivants en tant qu’abandon irréversible et conscient ?
Plus encore, et excessivement probablement, n’est-ce pas l’attirance et la fascination que provoque la mort qui pousse à aimer (établir un lien et le densifier) l’autre, comme si le lien était une parenthèse, une trêve à la mort ? Car dès notre naissance, nous sommes plongés dans la vie, intriqué(s) dans le tissu des liens filiaux, puis amicaux et sociaux. Nous sommes plongés dans l’amour (au sens large) c’est-à-dire les liens, sans lesquels nous ne sommes rien.
Aimer serait alors le sursis de la mort physique, qui permet de sublimer le lien, de le magnifier.
Vivre ce serait donc apprendre à dépasser la rupture du lien ou la mort relationnelle.
L’ «amore» étant une propédeutique à la mort….
A réfléchir, à sentir, à débattre encore et toujours.
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