La Princesse de Montpensier ou les égarements du cœur et de la vertu, au programme du bac français 2019. Tout sur cette oeuvre majeure avec notre E-prof de soutien scolaire en ligne.

Un duo de chic et de choc au programme

madame de Lafayette

La Princesse de Montpensier incarnée dans le film de Bertand Tavernier.

Heureuse nouvelle pour le programme de littérature du baccalauréat 2019 avec une première cette année : une auteure femme, Madame de Lafayette, entre au panthéon des auteures consacrées par l’institution avec La Princesse de Montpensier (1662).

Elle est admirablement secondée par Bertrand Tavernier qui, après une carrière consacrée à l’examen des passions intimes dans un cadre contemporain et plutôt de polars noirs, fait un retour vers une esthétique classique qui interroge.

Votre e-prof de français en ligne présente en deux articles ce qu’il faut connaître pour apprécier les richesses du texte et du film en vous conduisant comme le disent joliment les Instructions Officielles à propos du domaine Littérature et langages de l’image « vers l’étude précise des liens et des échanges qu’entretiennent des formes d’expression artistiques différentes » en vous les faisant apprécier « dans la double perspective de leur singularité et de leur intertextualité ». 

Une curieuse femme de lettres

Madame de La Fayette

Madame de La Fayette

En 1655, âgée de 21 ans, Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, est mariée au comte de Lafayette, de haute noblesse d’Auvergne, avant de s’installer à Paris de 1659 à sa mort en 1693.

Se faisant connaître par un portrait de Madame de Sévigné, elle fait paraître La Princesse de Montpensier en 1662, lu d’abord dans le salon de l’hôtel de Liancourt où le duc du même nom et son épouse Jeanne de Schomberg, rassemblent un cercle distingué et cultivé.

Considérée par ses correspondants comme un « bel esprit », elle est proche du grammairien Ménage, du moraliste La Rochefoucauld ou de l’érudit Jean-Regnault de Segrais sous le nom duquel paraît Zayde (1669-1671), aujourd’hui attribuée à Mme de Lafayette.

Elle est également l’auteur de La Princesse de Clèves (1678), La Comtesse de Tende (posthume, 1723) et d’un volume de mémoires, l’Histoire d’Henriette d’Angleterre (posthume, 1718).

La Princesse de Montpensier : pourquoi une œuvre anonyme ?

livre la princesse de Montpensier L’anonymat lors de la parution, levé par quelques semi-confessions de l’auteure dans sa correspondance, s’explique par le contexte historique de la société d’Ancien Régime où un noble, et a fortiori une grande dame, ne peut sans déroger faire profession de ses commerces ou de ses talents.

De plus, cette nouvelle relatant une histoire scandaleuse d’infidélité est accusée de séduire et de débaucher et évoque une passion adultère qu’aurait éprouvée l’arrière-grand-mère de la princesse de Montpensier, cousine germaine du roi. A l’époque, l’adultère est considéré comme un crime grave là où l’auteure met en lumière la difficulté de résister à la passion. Les traités des passions qui fleurissent entre 1610 et 1650, insistent sur le danger de représenter les passions des femmes mariés et condamnent ce genre de récits.

Enfin, l’anonymat permet de ne pas influencer le lecteur par la biographie de l’auteur et constitue un moyen de plaire au lecteur qui peut y voir une histoire à clefs.

Paradoxe de l’auteure : elle exprime dans des lettres à Ménage son désir voir [s]es œuvres sortir de presse » tout en étant soulagée de voir que son récit « court le monde mais par bonheur pas sous [s]on nom ».

Un art du récit renouvelé

Si la forme de la nouvelle est connue et pratiquée en France notamment depuis l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, les nouvelles italiennes ou espagnoles dont les Nouvelles Exemplaires de Cervantès, La Princesse de Montpensier apparaît à l’époque à la fois comme révolutionnaire et comme fondatrice de l’art classique de la nouvelle en mêlant histoire et galanterie.

L’œuvre, qui connaît un grand succès, marque ses contemporains par ses libertés de ton, de forme et dans le rapport à l’histoire. Sorel dans De la connaissance des bons livres (1671-1673) donne à La Princesse de Montpensier un rôle-clé dans l’évolution de la pratique romanesque.

Cette œuvre détonne d’abord par sa concision, n’étant composée que de 11 000 mots, se démarquant des grands romans de Madame de Scudéry, comme Clélie ou l’Astrée d’Honoré d’Urfé, qui eurent leur gloire dans la première moitié du XVIIème siècle.

Elle surprend ensuite par l’ancrage spatio-temporel d’une intrigue non plus exotique mais se déroulant en France avec une géographie réelle (Angers, Loches, Paris) et sous le règne de Charles IX (1560-1574) dans un passé récent connu des lecteurs.

Elle interpelle en outre par ses entrecroisements entre faits et personnages fictifs et réels, dont certains célèbres et familiers aux lecteurs de l’époque.

Elle a pu choquer par le déroulement même de l’intrigue qui s’ouvre sur les noces de Mademoiselle de Mézières, déroule sans épisode secondaire la passion malheureuse d’une femme mariée et s’achevant par la fin tragique de son héroïne.

La linéarité de sa narration écrite au passé simple et à l’imparfait, sans commentaire explicatif ou évaluatif et peu de passages au discours direct, se démarque des romans de l’époque et sa leçon morale minimaliste mettant un terme définitif à l’intrigue apparaît dans la dernière phrase comme un couperet tragique moins réprobateur que là pour choquer les esprits :

« Elle mourut en peu de temps, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde qui aurait été plus heureuse si la vertu et la prudence avaient conduit toutes ses actions. »

La nouvelle historique : histoires et fictions romanesques

Le récit de Madame de Lafayette est ancré dans la période des derniers Valois. Une période qui fascine les contemporains de la dérive du monarchisme absolu propre au règne de Louis XIV où la cour était synonyme de magnificences et où les nobles, forts de leurs victoires militaires, pouvaient encore défier les rois. Dans l’imaginaire de ses lecteurs, les grands seigneurs de cette époque incarnent un âge d’or révolu fait de passions amoureuses et politiques.

Le récit de La Princesse de Montpensier se déroule sous Charles IX (1560-1574), le mariage de Mlle de Mézières ayant lieu en 1566 et le massacre de la Saint Barthélémy (24 août 1572).

Une action étendue sur six ans où l’intrigue galante et privée est intriquée avec des événements militaires, politiques et publics.

C’est lors de la 2ème guerre de Religion (1567-1568) que le prince de Montpensier confie lors d’un séjour à Champigny sa jeune épouse à Chabannes, personnage fictif, qui devient son confident épris mais éconduit.

La paix de Longjumeau (mars 1568) permet les retrouvailles des époux ainsi que la visite fortuite du duc d’Anjou, futur Henri III, présenté dès lors comme rival amoureux du duc de Guise, dit le Balafré, et que dans les faits le roi fera assassiner le 23 décembre 1588.

La troisième guerre de Religion (1568-1570) sépare de nouveau les époux avant le retour de la princesse à la cour et ses retrouvailles avec de Guise après la paix de Saint Germain (août 1570).

Les préparatifs des mariages princiers entre Charles IX et Elisabeth d’Autriche (1570) et Henri de Bourbon, futur Henri IV, avec Marguerite de Valois, la fameuse reine Margot, sont autant d’événements où les rencontres entre les amants vont faire évoluer leur amour-passion et la jalousie du mari.

L’intrigue se clôt sur une scène de rencontre avortée à Champigny peu avant le massacre de la Saint Barthélémy où Chabannes trouve la mort.

En arrière-plan, de nombreux faits militaires émaillent l’intrigue comme les sièges de Paris (1567), Poitiers et Saint Jean d’Angély (1569) ou les batailles de Saint-Denis (1567), Jarnac (1569).

nouvelle historique

Cependant, si l’on a pu identifier les sources de l’auteure, notamment l’Histoire des guerres civiles de France de l’Italien Davila ou la biographie du duc de Montpensier par son intendant Coustureau (1642), la nouvelle prend quelques libertés.

Les noms des protagonistes étant encore connus à l’époque de la publication, la note du « libraire au lecteur » qui ouvre l’édition originale avertit que l’’histoire « n’a été tirée d’aucun Manuscrit qui nous soit demeurée du temps des personnes dont elle parle » et que « l’Auteur a voulu pour son divertissement écrire des aventures inventées ». Une précaution rendue nécessaire par le fait que la Grande Demoiselle, cousine germaine de Louis XIV, pourrait s’offusquer d’une publicité scandaleuse autour de son arrière-grand-mère Renée d’Anjou, héroïne de la nouvelle.

On sait néanmoins fort peu de choses sur cette ancêtre, petite fille d’une certaine Antoinette de Chabannes, dont on ignore la date de mort et dont le fils est ignoré dans la nouvelle. Quant au duc de Montpensier, prince dauphin dont le père s’est illustré lors des guerres de Religion, son rôle reste obscur.

Les autres personnages, illustres, correspondent aux récits des historiens, à l’exception notoire de Chabannes, peut-être véritable héros de la nouvelle.

Au niveau des faits, seul le séjour du duc d’Anjou à Champigny, peut-être inspiré d’un séjour ultérieur, est fictif et c’est cette méthode particulière qui fera le succès des nouvelles historiques. La nouvelliste inscrit son œuvre dans les blancs et peut-être les non-dits de la grande histoire pour mettre en lumière des facettes inconnues et fictives de personnages fameux, pris entre amour et devoir.

Mme de Lafayette sait également détourner les motivations de ses personnages en mêlant à une histoire publique réelle une histoire privée inventée mais vraisemblable. Si dans la réalité, de Guise osant prétendre à une alliance avec la sœur de Charles IX, Marguerite, épouse Catherine de Clèves, princesse de Portien, pour détourner sa colère, Mme de Lafayette la lui fait épouser pour qu’il évite la jalousie de la princesse de Montpensier en la convainquant qu’il n’est pas amoureux de Margueritte.

L’auteure utilise cependant certains procédés du roman héroïque comme lors de la scène de rencontre à Champigny : la découverte « dans un petit bateau qui était arrêté au milieu de la rivière » d’une jeune femme « fort belle, habillée magnifiquement » paraît « une chose de roman » aux deux princes et leurs suites. L’auteure accentue d’ailleurs ce romanesque en utilisant à quatre occurrences les terme « aventure » insistant ainsi sur le caractère plaisant et surprenant de ce concours de circonstance proprement romanesque.

L’intérêt d’une telle scène est de suspendre le récit par une scène d’extérieur où vient se greffer la passion, de nouveau non réciproque du duc d’Anjou pour l’héroïne tout en permettant à la passion entre elle et de Guise de se ranimer.

L’auteure n’hésite pas non plus à écrire une scène éminemment romanesque avec la scène du bal masqué où la princesse s’adresse au duc d’Anjou en le prenant pour de Guise et en lui révélant qu’il a un rival aimé.

Une princesse entre feux et flammes

Les héroïnes de Mme de Lafayette sont généralement des jeunes filles mariées dès le début du récit. Bien qu’évoluant dans le milieu aristocratique de la cour, elles se distinguent par leur « grande beauté », leur élégance, leur grâce et leur vertu.

Ce que Chabannes remarque d’emblée voyant chez la princesse « des dispositions si opposées à la faiblesse de la galanterie », en d’autres termes, une relation adultère. Face à ses déclarations, elle fait preuve de « tranquillité », de « froideur », même de « bonté » au lieu de colère, mépris ou désir de vengeance.

Cependant, l’épilogue montre une femme qui s’est laissé aller à la passion, mourant dans « la fleur de son âge » et qui « aurait pu être la plus heureuse si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions ».

préparation bac, La Princesse de MontpensierLa morale qui clôt le récit montre que le destin de la princesse aurait pu être différent si elle n’était « tombée comme les autres femmes » comme le dit Madame de Chartres à sa fille la Princesse de Clèves dans le roman éponyme pour la dissuader de sa passion. On remarque en effet que l’adultère n’est empêché que par l’arrivée inopinée du mari jaloux.

La princesse de Montpensier incarne ainsi le dilemme entre la passion amoureuse et la vertu, en écho à la maxime de La Rochefoucauld : « Qu’une femme est à plaindre quand elle a tout ensemble de l’amour et de la vertu ».

Son destin tragique est manifeste dans la prolepse imputable au narrateur : « L’on est bien faible quand on est amoureux » (p.69) justifiant le manque de vertu de la princesse en niant la possibilité de dominer ses passions, comme la Phèdre ou la Bérénice de Racine.

Si les actions publiques sont dictées en sous-main par l’intérêt, comme les mariages forcés de la princesse ou de de Guise, si les êtres sont dans la dissimulation perpétuelle derrière l’apparat, l’amour est associé au trouble, à la douleur, aux larmes et à la honte.

La galanterie apparaît comme associée à la civilité et la bienséance mais surtout avec les faux-semblants de l’ambition et de l’amour-propre.

La Princesse de Montpensier apparaît comme une intrigue noire et pessimiste qui sacrifie certes à la vérité historique pour dresser une peinture plus profonde, fine et paradoxalement plus juste de la dimension mortifère des passions humaines telles qu’une passion forte mais peu durable, la jalousie, voire l’amitié sacrificielle de Chabannes.

C’est finalement la honte qui emporte l’héroïne une fois sa réputation perdue, son confident mort et son amant la délaissant. Pour la princesse, l’amour ne peut rester pur et honnête dans un milieu où s’entrecroisent dans les faux-semblants les passions et les intérêts collectifs et individuels.

Dans une optique proche du jansénisme, l’homme n’est pas à lui-même un support fiable mais faillible par sa soumission à des passions qu’il ne peut dominer qu’en s’en remettant à une morale fixe. L’amour place l’héroïne face à un dilemme contraignant à appliquer la morale apprise pour préserver l’image de soi, impératif d’intégrité garantissant le rachat au plan religieux, la défense de son orgueil au niveau moral et sa consécration en tant qu’héroïne au plan esthétique.

Un style flamboyant sous la cendre

Qui a dit que l’on s’ennuyait à lire Madame de Lafayette ou la bannir des programmes comme le suggérait naguère un Président de la République ?

Votre e-prof de lettres pense au contraire que La Princesse de Montpensier par ses thèmes et son style s’inscrit dans une histoire littéraire et culturelle qui requiert notre attention vigilante.

En effet, la nouvelle n’est pas une simple bluette sentimentale, l’histoire d’un adultère raté, d’un conte virant au vaudeville de boulevard s’achevant tragiquement. Ce court récit est assez complexe et ambigu, au-delà de sa dramaturgie démonstrative peu vraisemblable, pour susciter des interprétations divergentes, voire déstabilisatrices, notamment à propos de l’énonciation.

Par exemple, si l’auteure multiplie les termes laudatifs sur la princesse, la surcharge semble suspecte et sert au contrepoint de la chute, la sienne et celle de la nouvelle.

Quel est le statut des guerres de Religion dans le récit ? Diversion ? Parallélisme dans la gravité ? Contrepoint sanglant à la narration où une France divisée entre religions fait écho à une héroïne écartelée entre amour et devoir ?

Au titre de la réception, on pourra s’interroger également sur le statut du lecteur : doit-il éprouver de l’empathie pour la princesse, et les autres personnages, ou les réprouver ? Relativiser la tragédie personnelle face à la violence des guerres de Religion ? Doit-il réduire ce récit à une banale histoire d’adultère raté par une princesse vertueuse par hasard plus que par obligation ou le considérer comme l’exemple suprêmement maîtrisé de l’esthétique classique ?

Autant de questions permettant de s’interroger sur la nouvelle historique, le statut de la narration et de l’héroïne, l’esthétique classique et la peinture des passions que vos e-profs seront heureux d’évoquer avec vous pour vous préparer au baccalauréat 2018.

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