prof lettresQuelques emprunts, citations et références dans Astérix chez les Belges pour débuter cette série d’articles dans lesquels nous allons montrer aux lycéens et étudiants du supérieur comment manier les concepts d’intertextualité et d’intericonicité très prisés par la critique littéraire et artistique.

Ce sera l’occasion de rappeler qu’un texte et une image ne sont jamais complètement dénués de rapports avec la production artistique qui les entoure ou les a précédés, et qu’une enquête minutieuse des références et emprunts intertextuels et intericoniques peut s’avérer d’une immense richesse pour nourrir un commentaire composé, un essai et, par extension, sa culture personnelle.

Préambule : un peu de théorie pour ce cours de soutien scolaire français en ligne spécial lycée et bac+2

Définition de l’intertextualité

L’intertextualité est un outil d’analyse littéraire utilisé pour décrire toutes les relations qui unissent un texte à un autre, dès lors qu’il le cite ou y fait allusion de manière explicite (=évidente) ou implicite (moins évidente, plus latente).

Ce terme, proposé par Julia Kristeva dans les années 1960,  repose sur le principe que “tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte.” Pour le dire plus simplement après Mikhaïl Bakhtine, Gérard Genette ou encore Roland Barthes qui ont aussi beaucoup écrit sur le sujet : un écrivain ne produit jamais dans un désert culturel ; il se nourrit en permanence d’autres textes qu’il utilise, cite plus ou moins explicitement, saturant ainsi son oeuvre de références empruntées à d’autres qu’il va réactualiser, manipuler et se réapproprier.

Outre la citation et l’allusion d’un texte dans un autre, l’intertextualité englobe aussi les formes de réécritures d’un texte dans un autre comme le pastiche (imitation d’un texte ou d’un auteur), la parodie (imitation caricaturale d’un texte ou du style d’un auteur), la transposition et l’imitation.

Définition de l’intericonicité

Dans d’autres domaines artistiques, on utilise des concepts similaires : par exemple, pour décrire les relations qui unissent un tableau à un ou plusieurs autres tableaux, on parlera d’intericonicité ; pour décrire les relations qui unissent différents médiums de création, par exemple les relations qui unissent un texte à un tableau ou à un film, on parlera plutôt d’intermédialité.

Voyons à présent concrètement comment cela se manifeste et quels effets sont produits par l’emploi de ces références empruntés à tous les arts. Pour ce faire, nous utiliserons la bande-dessinée Astérix chez les Belges car elle nous permettra d’aborder conjointement les 2 notions d’intertextualité et d’intericonicité.  

Retrouvez les deux autres contributions de Jonathan traitant d’intertextualité à travers les arts :

L’intericonicité de la BD à la peinture

Victor Hugo et Astérix réunis par l’intertextualité

Intertextualité en chanson

intertextualité-chansonC’est à l’occasion de la rencontre entre Gueuselambix, chef belge, et Abraracourcix, chef des gaulois que nous remarquons une première allusion intertextuelle : “Après des semaines et des semaines d’esclavage, on a décidé qu’on ne savait plus supporter” (page 14).

Sans guillemets, les propos de Gueuselambix sont une allusion implicite et détournée au premier vers de l’hymne national belge dans sa version de 1860 : “Après des siècles et des siècles d’esclavage / Le Belge sortant du tombeau / A reconquis par sa force et son courage / Son nom, ses droits et son drapeau.”

L’action d’Astérix se situant en 50 avant Jésus-Christ, René Goscinny remplace les siècles par des semaines pour évoquer les conflits opposant les Belges aux Romains à cette période et fait de la parole de Gueuselambix l’origine fictive de ce chant à la gloire de la patrie belge résistante, remplacé depuis par La Brabançonne.

Quelques pages plus loin, c’est encore en chanson que se produit une allusion intertextuelle, implicite elle aussi, alors que Belges et Gaulois, suite à leur campagne victorieuse contre quelques factions de légionnaires romains, se dirigent vers le village belge (p. 20).

intertextualité-plat-pays

Vous aurez certainement remarqué une référence cachée, sans guillemets, à la chanson de Jacques Brel, Le plat pays, dont le titre et le principal vers du refrain sont repris ici dans la bouche de Gueuselambix, véritable ambassadeur de la culture belge, avec pour seule modification le remplacement de l’article défini le par le démonstratif ce : “le plat pays qui est le mien” (Brel) / “dans ce plat pays qui est le mien” (Goscinny). Et ce n’est pas tout : “Nous n’avons que des oppidums pour uniques montagnes” fait allusion au premier vers du deuxième couplet de la chanson de Brel : “Avec des cathédrales pour uniques montagnes”. Pour éviter l’anachronique présence de cathédrales en 50 avant J.C., Goscinny utilise le terme d’oppidum qui sert à désigner les villes fortifiées situées sur une hauteur à l’époque romaine.

Ces deux références intertextuelles ont pour effet, outre de faire rire en jouant sur le comique de mot associé au comique de situation renforcé par l’horizontalité de la vignette qui souligne l’absence de relief de la Belgique, d’accentuer l’ancrage de l’album dans la culture flamande, même si celle-ci est anachronique.

1 réponse
  1. Syssou
    Syssou says:

    Merci, passionnant, pointu, complet et en même temps léger et agréable. J’ai qu’un seule envie maintenant, c’est de réouvrir mes vieux Astérix. Merci !

    Répondre

Répondre

Want to join the discussion?
Feel free to contribute!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Veuillez répondre à la question suivante *