La philosophie en ligne s’invite pour la Fête de la science avec cet article sur la sagesse scientifique et la métaphysique insensée selon Kant. Le point avec notre E-prof de soutien scolaire, Maryse.

Ces démonstrations, ces débats autour du savoir procèdent de l’esprit des lumières, qui a impulsé la démarche scientifique méthodique et expérimentale et, l’un des philosophes fondateurs de ce mouvement est Kant. En empruntant aux sciences la rigueur méthodique et le souci de l’expérimentation, comment Kant a-t-il encadré et délimité la réflexion métaphysique parfois débordante et illusoire ? Chez Kant quel est le rapport de la science avec la métaphysique et inversement ? En d’autres termes, selon Kant est-il légitime pour l’Homme ou le philosophe de parler de sujets comme le cosmos, « Dieu » ou bien l’âme ? Et si ces objets n’appartiennent pas au champ de la connaissance possible, pourquoi l’Homme en parle-t-il (Pourquoi l’Homme a-t-il pu dans l’Histoire des Idées décrire Dieu par exemple) ?

I / La recherche scientifique est une praxis (activité, travail)

Alors que pour les Grecs la connaissance – c’est-à-dire les informations que l’on pouvait retirer du réel – devait être dévoilée, extraite grâce à la vision perspicace du regard scientifique sur le monde, elle n’est plus aujourd’hui ce dévoilement. Elle est devenue une activité, un travail de l’esprit.

En effet, dans le monde grec connaître consistait à regarder, à observer au-delà des apparences, à trouver un ordre qui préexistait à toute chose. D’ailleurs les instruments de mesure tels que le télescope, le microscope permettaient d’aller au-delà des apparences du réel. Il s’agissait de connaître l’ordre cosmique du monde qui était le fondement d’une réalité disparate et mouvante. Cette connaissance s’effectuait grâce à l’observation.

Avec la révolution newtonienne, le monde n’est plus le fondement d’un ordre préétabli, mais un véritable Chaos où entrent en opposition des forces naturelles qui créent de l’instabilité.

Dès lors, si la connaissance consistait à rechercher un ordre, et si cet ordre n’existe plus, quel tournant peut prendre la connaissance ? Comment peut-on connaître et qu’est-ce que connaître ? En quoi consiste désormais le savoir scientifique ?

Gaston Bachelard

Gaston Bachelard

Il ne s’agit plus de trouver un ordre mais de le créer. «Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » dira Bachelard dans son ouvrage La Formation de l’esprit scientifique

Connaître consistera désormais à relier des phénomènes entre eux en fonction du principe de causalité (tout phénomène a une cause) pour les rendre intelligibles. Et il s’agira aussi de les rendre intelligible de manière universelle au sens où tout le monde s’accorde sur cette liaison causale.Par exemple il est indubitable pour tous que la glace à proximité d’une source de chaleur produira sa fonte. Ici on relie deux phénomènes dont l’un est la cause et l’autre l’effet. La chaleur (un phénomène causal) produit la fonte de la glace (un phénomène effet). Ce lien est accepté par tous de manière universelle. En revanche si j’associe un lancer de ballon (cause) à sa transformation en fleur (effet), ce lien est impossible car non expérimentable (improbable).

Ainsi pour qu’une connaissance (un lien entre deux phénomènes) soit possible, elle doit être universelle, acceptée par tous sans exception. L’objectivité d’une proposition scientifique est universellement valable quand elle vaut pour tout le monde.

Connaître ce n’est plus «dé-couvrir» (voir en dessous ce qui est couvert) mais relier des phénomènes de manière objective (liaison acceptée de tous).

II / Métaphysique scientifique

A/ Les catégories de l’entendement

Comment relier les phénomènes ?

Les connecteurs logiques (si, alors, parce que, donc, car etc…) permettent de relier les phénomènes mais ils sont « a priori » c’est-à-dire en dehors de l’expérience. Ils représentent une grille de lecture du réel : un prisme. Ces connecteurs sont aussi appelés catégories de l’entendement. Ce sont des principes ou des règles qui nous permettent de relier les phénomènes. On peut dire qu’ils sont innés.

Grace aux 12 cadres « a priori de l’entendement » (dont le principe de causalité), les sensations prennent un sens. Elles sont structurées par ce cadre.

En revanche, les phénomènes font partie de l’expérience et nécessitent notre système sensitif : ouïe, toucher, vue, goût, olfaction (acquis).

B/ Les cadres a priori de l’espace et du temps

De la même manière, l’expérience est structurée par les cadres a priori de l’espace et du temps au sens où tout ce que nous percevons passe par ce prisme ou cette grille. Par exemple, lorsque je perçois un être humain, spontanément je le situe à peu près au niveau de son âge (temps) et de sa taille, corpulence (espace). Dans tout ce que je perçois, immédiatement, je situe l’objet de ma perception  dans l’espace et le temps. En d’autres termes, je le structure dans l’espace et le temps.

C/ Le sujet transcendantal

Ainsi donc, ce qui nous permet de connaître, d’avoir une information sur la réalité ne dérive pas uniquement de l’expérience mais suppose aussi une grille de lecture antérieure à toute chose. C’est la rencontre entre cette grille et l’expérience qui génère la connaissance. Sans cette grille, nous n’aurions qu’une poussière d’impressions sensitives. La connaissance repose donc chez Kant, sur de l’inné à savoir les cadres a priori de l’espace et du temps, et les 12 catégories de la sensibilité (dont le principe de causalité) et de l’acquis : les sensations, les impressions, l’expérience.

Ce travail de structuration des phénomènes est réalisé par le sujet transcendantal (l’Homme). Ce sujet crée des liens entre les expériences de manière logique.

III / Déconstruction de la métaphysique

Mais alors que la connaissance ne peut reposer que sur l’expérience que structure le sujet transcendantal, comment celui-ci peut-il parler, décrire des objets qui ne peuvent entrer dans le champ de l’expérience ? Comment l’homme peut-il décrire Dieu, parler de ses perfections, de ses qualités alors qu’il n’en a jamais fait l’expérience par exemple ?

Le concept de Dieu n’est d’aucune utilité pour la communauté scientifique puisqu’on ne peut attribuer aucune réalité au concept de Dieu. Ces idées qui ne sont pas praticables, qui sont  illusoires, partent selon Kant des catégories a priori de l’entendement, et plus précisément de la catégorie « Relation » dans laquelle il y a la causalité.

Voici le dérapage auquel la raison se livre pour affirmer l’existence de Dieu par exemple.

Tout effet a une cause. Donc le monde a une cause (Dieu). Donc Dieu existe. La dérive consiste à sortir du monde des phénomènes, et à appliquer ce principe sur un autre plan de la réalité. C’est un peu comme si on voulait mesurer un fantôme avec un mètre. On utilise un outil que l’on utilise quotidiennement dans l’expérience (le principe de causalité), pour mesurer un objet qui ne fait pas partie de l’expérience.

Sagesse scientifique et métaphysique insensée selon Kant

Emmanuel Kant

La raison est avide d’absolu car le sujet transcendantal est pourvu de la catégorie substance. La catégorie substance suppose que le sujet conçoit l’idée d’un être porteur de tous les prédicats, autonome, parfait, transparent à lui-même, et absolu. Associée à cette catégorie, il y a la catégorie causalité qui permet de relier tous les phénomènes entre eux et de les rendre intelligibles.

En associant les catégories Substance et Causalité, on peut concevoir l’idée d’un être qui sait tout de lui et du monde. Cet être c’est Dieu. Or entre concevoir un être omniscient de lui et du monde et considérer qu’il existe, il n’y a qu’un pas. Ici, Kant pose une limite à cette dérive et la considère illusoire car on ne peut la pratiquer ou la temporaliser.

Nous pouvons penser l’idée de Dieu, mais nous ne pouvons en faire l’expérience.

Ainsi donc, à sa façon, Kant déconstruit la métaphysique en lui posant les limites propres à la recherche scientifique tournée vers le réel expérimental et non vers des objets qui ne peuvent entrer dans le champ de la connaissance : l’ âme, le cosmos, Dieu, la liberté.

La rigueur scientifique de Kant dans l’énonciation de propositions ou de jugements objectifs pose les limites d’une métaphysique qui déborde avec l’imagination l’horizon des objets de connaissance possibles. La pensée d’un objet, n’est pas sa connaissance.

IV/ Science métaphysique

Est-ce à dire que ces concepts inutilisables et illusoires (Dieu, liberté, cosmos, âme, etc…) n’ont aucune fonction pour la science ?

Ces concepts pour autant qu’ils soient inconnaissables animent le désir de perfectibilité scientifique. La pensée d’un idéal divin dynamise la recherche scientifique, lui donne un horizon, une direction, une ligne de conduite portée vers la perfection, et donc la perfectibilité. Le scientifique travaille dans l’idée d’évoluer, de progresser. L’idée de Dieu est un idéal régulateur à la recherche scientifique.Le scientifique essaie de s’approcher de l’omniscience divine. La métaphysique est à l’horizon du travail scientifique. La science est animée par l’idée de Dieu, c’est-à-dire par cet idéal d’omniscience. Le savant est mu par le besoin de comprendre, de rendre intelligible le monde comme le ferait Dieu qui est omniscient. Ce désir d’accéder à l’omniscience divine fait partie de la démarche plutôt inconsciente de la recherche scientifique.

Etrangement, alors que la science se présente comme positiviste et athée, elle est animée par un principe de compréhension globale du monde, comme l’idée de l’omniscience de Dieu le suppose.

Conclusion sur Kant et la science

Désireux de comprendre les dérives métaphysiques qui s’égarent (grâce aux débordements de l’imagination) à porter des jugements sur des objets de connaissance que l’on ne peut temporaliser, Kant, dans une approche, méticuleuse, analytique et critique s’évertue à déconstruire la métaphysique dont ses objets sont trop souvent illusoires et insensés. Il donne une cadre « réaliste », objectif aux objets de la connaissance métaphysique. En revanche, à la démarche scientifique positiviste et « athée », il ouvre un horizon métaphysique où l’idéal de l’omniscience divine anime la recherche et le progrès de la recherche. La critique kantienne aura eu pour effet de réguler la science avec la métaphysique.

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